top of page

ÉMOTIONS


 

Pandémie, pendez-mi, pendez-moi. Pendez-moi si ma tête de virus vous trouble !

Et moi, on ne me laisse que l’émoi émis par nos amis des médias immédiats, ceux-là même que n’émouvaient absolument pas l’appel à l’aide des soignants qui depuis plus d’un an réclamaient des moyens pour que vive l’Hôpital. Et surtout les services des urgences devenus exsangues suite aux coupes sombres effectuées sans état d’âme, sans émois quoi. Et pas un couac chez nos bavards du consensus tout émus de la bonne gestion des deniers publics.

Ah, ils ont oublié, on n’en parle même pas. Quel masque ont-ils mis aujourd’hui ? Celui de l’émouvante (oh j’allais dire épouvante… épouvantable escogriffe que je suis) tristesse. Celui de la compassion solidaire. Mais y a-t-il des trous dans ces masques pour voir que les sans grade s’émeuvent aussi ?

Ah oui, émouvant de nous retrouver à 20h pour chanter, jouer de la musique et applaudir les soignants envoyés en première ligne, avec des moyens dérisoires pour sauver nos peaux, au risque de la leur. Belle émotion spontanée relayée par nos porteurs des masques de l’hypocrisie, de la peur et de l’émotion.

Ah, Solidarité, oui oui, émouvante solidarité qui mobilise en renfort des soignants retraités parce qu’on n’a toujours pas pris les mesures pour recruter les personnels qui manquent cruellement.

Ah, mais tu fais appel à d’anciennes émotions qui n’ont plus cours aujourd’hui. Sois rationnel dans l’émoi que je te dicte ! Et moi, je n’ai pas envie d’oublier. Pas envie d’oublier qu’il y a quelques mois, nous étions à peine une centaine dans la rue à Valence pour soutenir les grévistes des urgences. C’est vrai qu’il faisait un temps pourri. La météo s’était donc rangée du côté du pouvoir gestionnaire contre l’émotion de la solidarité ?

Ah, citoyenneté solidaire : « restez chez vous ! » Et prenez bien cette excellente habitude. Rien ne sera plus comme avant. Ah bon ? Donc demain nous ne céderons pas aux émotions, nous ne descendrons plus dans la rue pour réclamer tous ensemble des moyens pour reconstruire le service public de santé (Ah quel vilain mot, l’initiative privée est tellement plus émouvante). « Restez chez vous !».

Oui, rien ne sera plus comme avant. Nous ne nous serrerons plus la main et nous ne nous embrasserons plus. Trop d’émotions manifestes. Nous aurons pris l’habitude de nous saluer froidement, sans émois, à la japonaise.

Une histoire, ça vous dit ? En août 2011 nous étions à Vancouver, chez le frère de Françoise. Parmi ses amis, Satchiko, une japonaise en couple avec un belge que nous avions vu en 1978 puis à chacun de nos séjours. Elle avait rendu visite à Alain, lui avait fait la bise et à nous aussi, comme à chaque rencontre. Un soir nous mangions dans un restaurant japonais. Satchiko est arrivée avec un groupe d’ami.es japonais.es. Le groupe s’est installé à une autre table, Françoise et moi nous sommes levés pour la saluer. Françoise lui a fait la bise. Elle est devenue blême (émotions ?) et ses amis avaient l’air profondément choqué ;es. Voyant les réactions de ses ami.es, je ne l’ai pas embrassée. Dans la sphère japonaise elle ne pouvait faire ce qu’elle faisait sans problème dans son réseau « occidental ».

Commentaires ? Que nenni, laissons cours à nos émotions !

Bon, j’arrête là mes élucubrations émotives car les motions pour soutenir l’Hôpital me rattrapent.

Emotions…, j’aurai voulu faire de la poésie, mais comme dit Léo Ferré : « La poésie contemporaine ne chante plus, elle rampe. Elle a cependant le privilège de la distinction, elle ne fréquente pas les mots mal famés, elle les ignore. A menstruelle on préfère périodique. Il est des mots qui ne doivent pas sortir des laboratoires et du codex ».

Alors la pente naturelle de mes émois m’a conduit sur ce chemin pavé de bonnes émotions.

J’espère que nous saurons retrouver les mots et les gestes de nos émotions, même sortis du codex.

Pandémie, pendez-mi, pendez-moi, j’ai bien l’intention de rester un virus.

A votre santé

Jean-Marc Jourdan

bottom of page